Peugeot avait racheté Citroën en 1974 pour former le groupe PSA. Ces tentatives de retour dans le haut de gamme furent des échecs (Peugeot 604 et Talbot Tagora). En outre, le succès de la Renault 25 fit perdre à Citroën son rôle de leader du haut de gamme français dans les années 1980. PSA décida alors de riposter. Sa stratégie de plate-forme commune aux deux marques lui permit de mieux amortir les coûts de développement de nouveaux modèles tout en les différenciant. Ainsi les Citroën XM et Peugeot 605 furent lancées en 1989. Cependant les deux modèles souffrirent des fameux défauts de jeunesse, syndrome quasi chronique du haut de gamme français ayant aussi affecté les Traction, Frégate, DS, SM, 604 et R25. Ce manque de fiabilité fut rédhibitoire sur un marché désormais ouvert à la concurrence et notamment aux marques allemandes spécialistes du haut de gamme que sont BMW et Mercedes-Benz. Ce fut un nouvel échec pour PSA.
De son côté, Renault fut trop conservateur pour le remplacement de la R25. Certes la marque avait compris l’importance de la qualité mais oublia l’agrément de conduite dans ses investissements pour le développement de la Safrane. Ce modèle fut un échec. Le leadership de Renault sur le segment ne dura donc que neuf ans. Là aussi, ce furent les marques étrangères à profiter de la situation.
Après un excès de conservatisme, Renault prit le chemin exactement opposé avec un excès d’originalité. La marque innova fortement en matière de design en lançant en 2001 une berline bicorps à hayon vertical, la Vel Satis, et un monospace avec trois portes et une grande surface vitrée, le « coupéspace » Avantime. Outre leur design novateur qui constituait un risque dans le segment du haut de gamme, ces deux modèles pâtirent d’une qualité insuffisante au début de leur commercialisation.
Chez PSA, les erreurs du passé semblent avoir porté leur fruit. Ainsi la qualité et les mécaniques étaient présentes sur la Peugeot 607, lancée en 2000, et qui réutilisait la plate-forme des Peugeot 605 et Citroën XM. Malheureusement, 25 ans d’erreurs entre 1975 et 2000 ont fait que la clientèle n’est plus là. Elle est passée à la concurrence et boude la Peugeot 607. Ceci est encore plus vrai pour la Citroën C6 qui succéda en 2005 à la XM disparue en 2000. Le constructeur au double chevron est ainsi resté sans modèle haut de gamme pendant cinq ans. La Citroën C6, élaborée sur la plate-forme PF3 commune avec les Citroën C5 et Peugeot 407, se caractérisait également par un bon niveau de qualité et par des mécaniques à la hauteur. Ainsi les Peugeot 607 et Citroën C6 ont été des échecs. C’est injuste pour ces modèles enfin bien construits mais c’est comme ça.
Voici la liste des voitures françaises du segment des grandes voitures haut de gamme classée par ordre décroissant de chiffres de production.
Marque | Modèle | Début | Fin | Production totale |
Citroën | DS | 1955 | 1975 | 1 456 115 |
Citroën | CX | 1974 | 1991 | 1 043 360 |
Renault | 25 | 1983 | 1992 | 781 299 |
Citroën | Traction | 1934 | 1957 | 759 123 |
Citroën | XM | 1989 | 2000 | 333 775 |
Renault | Safrane | 1992 | 2001 | 312 799 |
Peugeot | 605 | 1989 | 1999 | 254 501 |
Renault | Frégate | 1950 | 1960 | 180 463 |
Peugeot | 607 | 1999 | 2010 | 168 875 |
Simca | Vedette | 1954 | 1961 | 166 895 |
Peugeot | 604 | 1975 | 1986 | 153 252 |
Ford | Vedette | 1948 | 1954 | 105 727 |
Renault | Vel Satis | 2001 | 2009 | 62 201 |
Citroën | C6 | 2005 | 2012 | 23 421 |
Talbot | Tagora | 1980 | 1983 | 20 133 |
Citroën | SM | 1970 | 1975 | 12 920 |
Renault | Avantime | 2001 | 2003 | 8 557 |
Renault | Talisman CN | 2012 | 2016 | Moins de 1000 |
In fine, les constructeurs français ont proposé 18 modèles haut de gamme depuis 1950. Seuls quatre ont rencontré un réel succès. Cela revient à dire que 14 ont été des échecs. Nous essayons de synthétiser ci-dessous leurs principales causes.
Qualité/fiabilité : Renault Frégate ; Citroën SM ; Peugeot 604 ; Citroën XM ; Peugeot 605 ; Renault Avantime ; Renault Vel Satis
Positionnement ambigu : Talbot Tagora ; Citroën SM ; Renault Avantime ; Renault Vel Satis
Investissements insuffisants : Renault Frégate ; Simca Vedette ; Citroën SM ; Peugeot 604 ; Talbot Tagora ; Renault Safrane ; Renault Talisman
Absence d’image de marque : Renault Frégate, Simca Vedette, Talbot Tagora ; Peugeot 607 ; Citroën C6 ; Renault Talisman
Il convient de rappeler que les Citroën Traction, Citroën DS et Renault 25 ont aussi souffert d’une fiabilité insuffisante au début de leur carrière. Pourtant, cela ne les a pas empêché de connaître le succès. Mais la clientèle a évolué au fil du temps. Les exigences du segment haut de gamme sont devenues plus fortes en raison d’une concurrence plus importante.
L’exercice est certes théorique. Cependant j’ai eu envie de réfléchir quelque peu sur les destinées de plusieurs modèles français haut de gamme ayant échoué.
Ce modèle aurait pu constituer une mine d’or pour Citroën et l’automobile française. Tout d’abord une partie du réseau aurait dû être spécifiquement formé pour l’entretien de cette automobile sophistiquée. L’injection aurait été installée sur le moteur dès le lancement. De même une berline 4 portes manquait à la gamme. Cette berline aurait pu conserver le profil fastback du coupé et son hayon. Cela aurait constitué une Porsche Panamera ou une Tesla Model S avant l’heure. Un moteur V8 Maserati aurait été ajouté à la gamme. À partir de 1973 et de la crise pétrolière, le moteur 4 cylindres 2,3 L à injection de la DS 23 aurait été monté dans la voiture comme version bas de gamme. Les constructeurs allemands procédèrent de la sorte sur plusieurs modèles.
Enfin, le challenge le plus important à relever aurait été l’adaptation d’une suspension à hauteur fixe pour le marché américain et de pare-chocs absorbants exigés à partir de 1974. Plus de 15 % de la production de SM a été écoulé sur ce marché, le premier mondial à l’époque. Il est regrettable que Citroën n’ait pas voulu investir suffisamment pour passer ces normes américaines. Là encore les constructeurs allemands le firent souvent en défigurant leurs automobiles et en dégradant fortement leurs performances. Les 250 000 exemplaires produits auraient été un objectif raisonnable pour une carrière étalée de 1970 à 1985.
Dès 1975, la finition de la voiture aurait dû être au niveau de celle d’une Mercedes-Benz. Peugeot possédait alors une réputation de fiabilité et de robustesse. La marque aurait dû capitaliser sur cette image. De même, les motorisations disponibles au lancement auraient dû être un 4 cylindres 2,2 L à injection et un 6 cylindres en ligne 2,8 L à injection. L’arrivée du turbo diesel en 1979 n’aurait alors pas seulement permis au modèle de survivre mais aurait amplifié son succès. Le million d’exemplaires produits aurait été atteignable pour une carrière qui se serait achevée en 1989 au lancement de la 605.
L’erreur fut énorme sur un segment haut de gamme complètement ouvert à la concurrence. Il aurait mieux valu retarder le lancement de quelques mois pour sortir des voitures à la qualité irréprochable. Chacune aurait pu ainsi viser le million d’exemplaires produits en 10 ans de carrière.
En 1990, Renault s’est associé avec Volvo. Les excellents 5 cylindres en ligne du constructeur suédois aurait dû être montés sur la Safrane dès son lancement et non pas en 1996. Renault aurait pu ainsi se concentrer sur un bon moteur diesel au lieu de reprendre une mécanique vieille de 10 ans et de 90 ch seulement pour un modèle aussi lourd. La marque au losange aurait dû éviter aussi de monter sur son haut de gamme un moteur d’utilitaire 2,5L turbo diesel. À reprendre une mécanique d’utilitaire, Renault aurait pu suivre l’exemple de son partenaire Volvo qui utilisait le 6 cylindres en ligne plus noble du fourgon Volkswagen LT sur ces 240, 740 et 760. Une meilleure possibilité aurait été un accord avec Audi qui équipait alors la Volvo 850 avec son moteur 5 cylindres 2,5 L TDI. Bref de nombreuses alternatives mécaniques existaient pour Renault qui n’a pas su les saisir.
Mais bon, avec des si, on mettrait Paris en bouteille. Il vaut donc mieux s’arrêter là et conclure. Le haut de gamme est pourvoyeur de marges bénéficiaires plus importantes que les modèles des gammes inférieures. Mais il demande plus d’investissements et de la persévérance dans le temps.
Ceci a bien été compris par les constructeurs allemands et japonais. Deux marques symbolisent cet état de fait : Audi, relancée par Volkswagen en 1965 et qui s’est vraiment imposé dans le premium une trentaine d’année plus tard ; et Lexus, lancée par Toyota en 1989 et devenue une référence premium avec ses versions hybrides.
Les constructeurs français ont été capables de produire des voitures haut de gamme originales et réussies. Désormais ils doivent consentir de gros investissements marketing pour revenir sur le segment haut de gamme. Ils peuvent être aidés dans ce sens par l’image de luxe de la France à l’étranger. PSA semble suivre cette voie avec la nouvelle marque DS créée à partir de Citroën. Celle-ci a opté pour le premium en misant sur la qualité, le service, l’agrément de conduite, le style et l’élégance. Les ingrédients de base sont là. La recette doit prendre petit à petit en recréant un capital image et une réputation haut de gamme perdue depuis plus de 20 ans.
En revanche, Renault a remplacé sa Vel Satis par la Latitude, dérivée d’une Samsung SM5 appartenant au segment intermédiaire et baptisée Safrane sur certains marchés d’exportation. La marque au losange propose aussi depuis 2012, la Talisman sur le marché chinois. Cette berline haut de gamme est une Samsung SM7 rebadgée. Je ne pense pas que le badge-engineering soit la meilleure politique pour l’image de marque et le succès en haut de gamme. Bref, il y a encore du boulot.
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